La « Limonade Suisse » se boit dans tout le Brésil. Elle n’a rien d'helvétique, mais c'est rafraîchissement, doux et acidulé... comme ce blog, je l'espère.

A « Limonada suíça » encontra-se no Brasil todo. Não tem nada de suíço, mas é refrescante, doce e acidulada... como esse blog, espero.

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14/05/2011

Jorge Amado, et son roman Cacao (Cacau)

Commencer à connaître un pays, ses coutumes et sa culture, nécessite de nombreuses lectures, des années d’intérêt, des visites et si possible la connaissance de la langue.

Nous nous enorgueillissons de nos quatre langues nationales dans une Suisse multiculturelle. Si au Brésil il subsiste plus de 100 langues indigènes, quasi toute la population parle le portugais brésilien, dont un pourcentage non-négligeable du vocabulaire est d'origine indigène ou africaine. Ce pays a la complexité d’un continent mais il est souvent vu à travers des clichés tenaces : la plage, le carnaval, la musique et aussi la violence quotidienne qui rythme sa vie. La réalité du Brésil est passionnante mais difficile à cerner pour un européen. On ne peut comprendre ce pays sans connaître un peu de son histoire, violente et tumultueuse depuis le début de la colonisation au 16ème siècle, jusqu’à la fin de la dictature militaire il y a 25 ans seulement. Sa littérature, mal connue à l’étranger, aide à en appréhender le passé et le présent. 

Jorge Amado

J’apprécie le style direct de Jorge Amado ( 1912 – 2001 ). Par la lecture de ses romans on entre dans le quotidien brésilien de la première moitié du 20ème siècle, en particulier dans l'État de Bahia dont l’auteur est originaire. La vie de l’écrivain a été consacrée à l’écriture, un moyen pour exprimer sa sensibilité sociale et ses idées égalitaires éveillées à la vision des conditions de vie des travailleurs des plantations de cacao et de café en particulier.

Son engagement et ses livres lui valurent une vie de rejet et d’exils. En 1937, par décision officielle de son pays, 1700 exemplaires de ses romans, dont Cacao, sont brûlés en place publique. En 1948 il s’exile volontairement en France après que ses livres aient été déclarés « matériel subversif » par le gouvernement brésilien. En 1950 il est expulsé par la France suite à ses engagements politiques en faveur de l’Union Soviétique et de la Tchécoslovaquie. Il voyage alors dans ces pays ainsi qu’en Chine. En 1951 il est lauréat du Prix Lénine pour la paix. En 1952 les États-Unis, en plein maccartisme, lui interdisent l’entrée sur le territoire américain et ses livres y sont interdits. Tout ceci semble démesuré à la lecture de ses romans dont les thèmes sont plus humanistes que politiques. Cela laisse entrevoir l’esprit du moment.

Si l’esclavage a été aboli légalement à la fin du 19ème siècle, il subsistait encore, de fait, au moment de la jeunesse de Jorge Amado dans bien des régions, et se retrouve parfois actuellement dans certaines parties isolées du pays, au point que l’ancien ministre de la culture et chanteur Gilberto Gil, appelait il y a deux ans à une deuxième abolition de l’esclavage au Brésil. La vie quotidienne des simples ouvrier agricoles, complètement dépendants du propriétaire terrien, le coronel ( fazendeiro ) qui a pratiquement les pleins pouvoirs sur ses employés en position d’esclaves constitue la toile de fond du roman Cacao ( Cacau ).


C'est le deuxième roman de Jorge Amado, publié en 1933, période tumultueuse par ses bouleversements liés à la crise économique mondiale, à la montée d’Hitler et à la peur du communisme. Le narrateur, fils d’un propriétaire fermier atypique, plus passionné par la musique que par son exploitation agricole, à la mort de son père se retrouve sans ressource, spoliés par le frère du défunt. Le jeune homme se retrouve dans l’obligation de partir travailler dans les plantations de cacao au sud de l'État de Bahia. D’homme, il devient un « loué », juste une force de travail. C’est la description de la vie des ouvriers des plantations, des relations entre ces esclaves et le propriétaire et ses sbires, qui constituent la trame de l’histoire. Les employés sont payés, certes, mais ne peuvent se fournir en nourriture et biens de base que chez le patron qui les facture plus cher que ce que peut payer l'ouvrier avec son salaire. Endettés, ces hommes restent pieds et points liés.

La relation avortée entre la fille du propriétaire et le narrateur surnommé Sergipano qui ne veut trahir sa condition de travailleur avec une fille de propriétaire, décide le jeune homme à rejoindre à Rio de Janiero un ami convaincu par l’avenir de la lutte sociale

L’écriture est simple, les dialogues sans fioritures, les situations proches du reportage. A la lecture de Jorge Amado on entre dans cet univers de fazendas de cacao au Brésil, on imagine les bruits, les odeurs, le frémissement des serpents glissant dans la plantation. On respire la vie de ces ouvriers simples qui ne désirent pas s’enrichir mais juste vivre un peu mieux, plus décemment, sans avoir faim. Des propos somme toute éloignés de ce que pourraient-être des revendications sociales. Jorge Amado dit à propos de son roman: "J'ai essayé de raconter dans ce livre, avec un minimum de littérature au profit d'un maximum d'honnêteté, la vie des travailleurs dans le sud de l'État de Bahia"
 

La rudesse de cet univers où tout se règle par la violence et par une justice personnelle est peut être une des origines de la violence actuelle dans ce pays. Le patron fait liquider par ses hommes de main l’employé contestataire ou le fazendeiro concurrent, l’ouvrier défigure à coup de machette le fils du propriétaire ou exécute son rival avec une sorte de résignation : Cela a toujours été ainsi.

Ce n’est certainement pas un hasard si l’œuvre de Jorge Amado a été la source de nombreuses adaptations cinématographiques car son écriture est visuelle. Ses livres ont été traduits en près de 50 langues. Vous trouverez en librairie de nombreux titres, dont bien sûr Cacao dont il existe des éditions françaises. Pour sûr Cacao vous transportera dans un monde bien éloigné de la Suisse qui changera peut-être votre perception de la saveur du chocolat.

Cacao, Éditions Stock, Collection "La Cosmopolite". 157 p. 
Cacao, Éditions Larousse, Collection “Petits Contemporains”, 159 p.
Cacau, Edição Companhia Das Letras, Coleção Jorge Amado, 184 p.