La « Limonade Suisse » se boit dans tout le Brésil. Elle n’a rien d'helvétique, mais c'est rafraîchissement, doux et acidulé... comme ce blog, je l'espère.

A « Limonada suíça » encontra-se no Brasil todo. Não tem nada de suíço, mas é refrescante, doce e acidulada... como esse blog, espero.

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28/03/2012

Manifeste anthropophage, de Oswald de Andrade : un régal!


Une visite au Musée de la langue portugaise à Sao Paulo a excité mon appétit de découvrir l’œuvre d'Oswald de Andrade (1890 – 1954), un des piliers du Modernisme brésilien, mouvement qui a marqué les années 20. Ce poète essayiste, dramaturge et philosophe - ami de Blaise Cendrars - regardait le Brésil avec un œil critique, et ses écrits sont ceux d'un extraverti, iconoclaste, provocateur et plein d'humour :
"Contester est un devoir de l’intelligence."

Oswald de Andrade par Tarsila de Amaral

Ce écrivain a apporté au début du 20e siècle un autre regard sur la culture brésilienne, la situant par rapport au monde et en particulier à l’Europe d’où étaient partis les colonisateurs. 

J’ai vite pris goût a son univers épicé à la lecture en guise d'entrée du Manifeste de la poésie Pau Brasil *:
"Hé, c’est le moment de réaction à l’apparence. Réaction à la copie. Substituer la perspective visuelle et naturaliste par une perspective d’un autre ordre : sentimentale, intellectuelle, ironique, ingénue."
"Nous ne pouvons pas nous empêcher d’être doctes. Docteurs. Pays de douleurs anonymes, de docteurs anonymes."
Le rituel indigène par lequel les vainqueurs sacrifiaient leurs ennemis vaincus et en mangeaient la chair de manière à s’alimenter de leur force,  suscite à Oswald de Andrade une profonde réflexion. Sur cette base il développe son idée d’anthropophagie culturelle. A un moment où le Brésil se soumettait aux habitudes et pensées étrangères, il propose non pas de rejeter l’autre mais de l’accepter en le dévorant symboliquement, pour s’approprier son savoir et s’alimenter de ses idées afin de créer une nouvelle manière d’être avec des propres critères de valeurs. C’est ainsi qu’il publie en 1928 un ouvrage qui est le plat de résistance de ses idées, et qui me semblent encore parfaitement d’actualité, le Manifeste anthropophage.
"Seulement l’anthropophagie nous uni. Socialement, économiquement, philosophiquement."

"Ne m’intéresse seulement que ce qui n’est pas à moi.  Loi de l’homme, loi de l’anthropophage."

A table! Recueil en portugais de différents textes anthropophages.

Ce qui frappe en apprenant la langue du Brésil, ce sont ses différences avec le portugais du Portugal, car l'idiome brésilien s’est enrichi de nombreux mots des langues indigènes et africaines (ce qui ne s’est pas passé avec l'anglais aux États-Unis, par exemple). Cette absorption est une caractéristique non seulement de la langue, mais aussi de la musique, de la littérature et de toute la culture brésilienne: Anthropophagie culturelle !
"Mais ce ne sont pas des croisés qui vinrent. Ce furent des fugitifs d’une civilisation que nous sommes  en train de manger, parce que nous sommes forts et vindicatifs comme Jabuti. "**
Les pays qui pendant plus d'un siècle ont été maîtres de l'économie et qui maintenant tremblent (l'age peut-être?) face aux économies émergentes, me suggèrent l’image de deux personnes luttant dans une rivière : celui qui respire la tête hors de l’eau, s'appuie sur l’autre qui se noie submergé. Peut-être devrait-on parler à propos de ces pays riches d'économies submergées? Et leur peur s’applique aussi à la culture et à la religion. Serait-il temps qu'ils passent à table pour un banquet anthropophage avant que les émergents ne les aient digérés culturellement?

Les écrits d’Oswald de Andrade sont pleins d’humour et suscitent de nombreuses réflexions sur les rapports entre les différentes cultures du globe. 

Le festin cannibale fut décrit en détail entre autres par le mercenaire allemand Hans Stalden, prisonnier des Tupinamba entre 1554 et 1557

En guise de dessert je vous suggère quelques définitions tirée de son Dictionnaire de poche qui est truffé d’idées aigres-douces :
"Léonad de Vinci : Créateur du sourire bourgeois"
"Madeleine : Joan Crawfrod dans la vie du Christ"
"Jonas : Régurgitation  de baleine"
"Shakespeare : Caisse de jouets pendant la renaissance"
"La Vierge Marie : Miss Nazareth"
Lires Oswald de Andrade, Machado de Assis, Jorges Amado, Chico Buarque ou les nombreux grands écrivains brésiliens c’est aussi commencer à comprendre que le Brésil peut s'enorgueillir de beaucoup d’autres richesses que le football, des corps de rêve bronzés sur Copacabana ou une caipirinha bien glacée sous le cocotiers. 
"Avant que les portugais aient découvert le Brésil, le Brésil avait découvert le bonheur."
*Pau brasil est le nom du bois de braise qui a donné son nom au pays et dont les forêts ont été rasées depuis l’arrivée des colons au 16e siècle pour fournir à l’Europe la teinture rouge dont elle avait besoin.

** Jabuti : Grande tortue du Brésil, mais aussi langue indigène brésilienne.

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