Curitiba,
sud du Brésil.
11h40 :
Je téléphone à un taxi pour me rendre à l’aéroport. En
pleine chaleur de fin de printemps j’attends 15 minutes la précieuse voiture. J’y
colle mes bagages savamment préparés : Aeroporto por favor. Question pertinente : Vous allez voyager ?
12h30 :
Arrivé à l’aéroport le chauffeur lâche les 27 kg de ma valise sur mon gros
orteil : Désolé. Moi aussi. Mon ongle
va s’en souvenir quelques semaines.
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Aeroporto Alfonço Pena, 5 décembre 2012
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Check-in : Je déteste la stressante machine et vais donc directement au guichet. Employée aimable. 5 minutes plus tard je me sens libre avec mon seul bagage à main et les tickets d’embarquement – 1 cm plus large que la poche de chemise. Plus qu’à attendre. Un café. Je regarde les enfants le nez collé à la baie vitrée, et les mouvements d’avion.
14h20 :
Passer le contrôle sans montre ni ceinture – mon pantalon tient tout seul, j’ai
grossi. Je sors mon ordinateur portable et franchis le portail qui sonne :
pourtant rien de métallique. Le préposé présente un bidule électronique à mon entrejambe
puis à mes aisselles. Magnanime il me fait signe de passer : je ne suis
pas terroriste. Porte 2.
J'observe la masse autiste des voyageurs plongés sur leur ordinateur ou Smartphone. Annonce :
Changement pour la porte 4. Mouvement
de 150 personnes dans la confusion. Je vais boire une bière, chère. Annonce :
L’embarquement se fera bien à la porte 2.
Retour à la case départ. Je ris en pensant à Jacques Tati. Annonce : Embarquement immédiat. Les vieux et les
enfants d’abord.

15h : Décollage ! Après un quart d’heure les
hôtesses gambadent et offrent généreusement un caramel collant, des biscuits
salés et une eau. J’aime la place au hublot gauche pour ce vol qui remonte la
côte Atlantique en direction de São Paulo. Impressionnante approche de cette
ville de 20 millions d’habitants, et survol de kilomètres de gratte-ciels.
16h10 :
Atterrissage à l’heure. C’est rare. Je parcours prestement un kilomètre de
couloirs pour procéder au check-in du vol intercontinental de Swiss. C’est fait.
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Jambes et démarches: Pressées ... |
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légères et estivales ... |
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frileuses ... |
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chic mais décidées. |
Une fois
de plus le passage du contrôle est un sketch du Policier Fédéral qui feuillette aller et retour les 24 pages de mon
passeport pour en comprendre les multiples visas - deux obsolètes mais
non-annulés, deux annulés suite aux erreurs du Consulat du Brésil, un valable – puis regarde ma carte d’identité
brésilienne pour étranger – passée de validités, mais agrémentée d’un petit papier
avec signature et tampon officiel expliquant que la situation est en voie de régularisation depuis 14 mois.
Comme d’habitude le préposé écarquille les yeux et quitte le guichet mes papiers à la main en direction de son chef
qui devrait comprendre puisqu’il est chef. Derrière moi un homme
d’affaire s’impatiente. Je lui souris. Le fonctionnaire revient 10 minutes plus
tard et applique sans mot dire, d’un geste définitif et sonore le tampon qui
m’autorise à quitter le Brésil. Boa viagem. Merci
beaucoup ! Plus que
2h30 à attendre. Je satisfais mon voyeuriste au spectacle de la foule agitée.
35° au thermomètre du tarmac.
19h30 : Embarquement. Les
passagers de la zone Business, une
flute de champagne à la main, regardent passer d’un œil condescendant les
pauvres de l’Economic.
Découverte de ma place et organisation du campement. Je vais y rester une
demi-journée dans l’espace du fauteuil - environ 50 cm2 :
Un pull en cas de climatisation bloquée à 15° - le masque pour les yeux – les
tampons auriculaires – l’appuie nuque gonflable - la brosse à dent pliable –
les mouchoirs – les lunettes – un livre – le somnifère, qui avec un bon verre
de rouge va peut-être me permettre de m’assoupir quelque peu.
Je
constate avec bonheur que ma place est plutôt bonne. Je peux presque tendre les
jambes, le bouton pour incliner le dossier et la tablette pour le repas ne sont
pas grippés, pas d’enfant hyperactif derrière moi jouant au flipper avec mon
dossier, et ma voisine semble d’un comportement normal,
voire charmant. Quelques phrases me renseignent : Elle est Suisse-allemande,
très sympathique, elle rentre à Zurich après avoir visité la famille de São
Paulo où elle a séjourné 18 mois, il y a deux ans. Elle ne parle pas bien le
français, et moi pas le züridütsch.
Nous utiliserons donc le portugais.
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T'as vu l'avion, c'est drôle |
Les 250 brebis-voyageuses sont dans
les box de l’étable Airbus. Sous sa
belle casquette, le chef du troupeau astique son manche à balais-houlette. Les
bergers et bergères de Swiss
arpentent les couloirs, le sourire en bandoulière. Les moutons doivent boucler leur ceinture, les masques à oxygène leur tomberont sur la tête en cas de dépressurisation, les sièges sont flottants - je m’imagine dans mon fauteuil au milieu de l’Atlantique – on ne fume
pas, même dans les toilettes, et les sorties de secours sont sur les ailes.
20h20 heure d’été : C’est
parti pour 12 longues heures. Je mets ma montre à l’heure européenne - 23h20
heure d’hiver. Mes vertèbres commencent à épouser la forme du siège, mes tympans
s’accoutument au vrombissement des réacteurs, mes pieds se mettent à gonfler –
je m’en fiche je voyage en Crocs - et
mon corps entre en lente régression. Ah qu’il serait bon de pouvoir se
téléporter. Chose rare, ma voisine m’offre une discussion fort intéressant.
Elle est ethnomusicologue, son amoureux macédonien joue dans une typique formation
de cuivre balkanique. A l’heure redoutée du repas je découvre que les hôtesses
dévolues à mon secteur ne parlent ni français, ni portugais. Les traditions se
perdent : Fleisch oder Ravioli ? Fleisch für mich, und rotes
wein bitte.
Commence le Jeux de Dames : Si je mange d’abord le petit pain, je libère une
place sur le mini-plateau et je peux poser le couvercle aluminium de la
barquette - j’ai réussi à l’enlever en ne me tachant que très peu, au contraire de la sauce à salade qui agrémente les rayures de ma chemise de motifs
non-figuratifs intéressants. Les feuilles de laitue englouties, je regroupe le
godet de sauce et l’alu-couvercle dans le ravier à salade et y ajoute le
plastique des couteaux-fourchettes. J’ai ainsi dégagé une aire d’atterrissage pour
le verre à rouge qui vient de laisser échapper quelques gouttes lors d’un
hoquet de l’appareil. La petite bouteille vide, je la coince dans la pochette à
revues ménagée dans le dossier du siège qui me fait face. Malheureusement le
flacon, sous la poussée du ressort de la pochette, s’éjecte en direction du couloir sous le pied pourtant alerte de l’hôtesse. Celle-ci perd alors son fragile équilibre, se retient au premier appuie-tête qui lui tombe sous la main, et tire ainsi
involontairement les cheveux d’une passagère innocente.
Je m’excuse d’un
sourire niais, mais suis réconforté à la vue de mon voisin, de l’autre côté du
couloir, qui vient de faire basculer tout son plateau sur les genoux de sa
voisine, aussi fâchée que tachée. Epuisé par l’exercice, je renonce à l’espèce de flan rose qui tient lieu de
dessert. Pour me remettre il me faudra une autre bouteille de
rouge – elles sont si petites. Moins hardie, ma voisine a renoncé au repas et s’en sort indemne, mais avec un creux à
l’estomac. La partie de dame est terminée, j’ai gagné… quelques taches.
Le troupeau tripote les télécommandes pour se choisir des films. Moi ça me stress, je sirote ma dernière bouteille de
rouge – un déci et demi, ils doivent les recevoir
gratuitement. Je gonfle mon appuie nuque que je positionne sur mes cervicales,
dispose le petit coussin derrière mes sacro-iliaques et ferme mes jolis yeux
caché par le bandeau. Fausse alerte, ma voisine doit aller aux commodités. Je
défait mon dispositif et la laisse passer dans un grand sourire et en profite
pour arpenter le couloir histoire d’agiter mes membres inférieurs et de jeter
un œil à mes compagnons d'infortune. J’ai envie de les photographier mais la seule
idée de sortir mon bagage à main bien rangé dans le compartiment m’en dissuade.
La photo sera mentale. De retour à ma place, un œil sur les informations
de vol : on est parti il y a deux heures, restent 8'900 km, on est à
11'000 mètres toujours en dessus du Brésil, il fait moins 45° dehors - les fenêtres sont heureusement fermée. Ne me reste plus qu’à entrer dans une
somnolence agitée de rêves incertains et de crampes vicieuses. Maman c’est loin l’Europe ? Tais-toi et
dors !
Que c’est
long ces heures de demi-sommeil, de promenades vacillantes dans le couloir
entre les ronfleurs bouche bée, et de verres d’eau.
La cabine se rallume. Ne reste que le petit déjeuner pour terminer le cauchemar avec un redoutable café. Les saucisses, ça je ne peux pas. Le pilote annonce une tempête de neige et moins 5° à l’aéroport de Zurich. Avant que les passagers ne s’agitent fébrilement je sors ma tenue d’hiver de mon bagage à main. Paré! En dessus de l’épaule de ma voisine - elle a dormi toute la nuit ! - par le hublot je vois le paysage de neige dans une trouée ensoleillée. C’est beau.
11h15: Enfin
sortir de cette boite de conserve! Presque 40° de moins qu’au décollage, mais de
l’air et enfin marcher. J'ai peu de temps pour prendre la correspondance pour Genève.
Je presse le pas dans les couloirs tellement propre qu’on a l’impression que
personne n’y a jamais passé. Contrôle - sans problème. Yodle, beuglement et lancé
de drapeau dans le métro automatique qui laissent les touristes ébahis. Boutiques
clinquantes, griffes de luxe, lumière étudiée. L’Europe en crise ? Pas
ici.
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Aéroport Zurich-Kloten, 6 décembre 2012 |
11h45 : Arrivé à la porte d’embarquement pour mon dernier vol j’apprends que la météo a eu raison de la ponctualité suisse : deux heures de retard. Je m’installe et sors mon appareil de photo. J’ai le temps de tirer quelques clichés du tarmac enneigé et, à la sauvette, de l’agitation des voyageurs.
Un homme d’affaire d’un geste vif tire son poignet de la manche pour regarder l’heure - il s’assure du regard que j’ai remarqué sa montre de la même marque que celle de la publicité devant laquelle il est arrêté. J’imagine la destination de la fausse blonde liftée bardée de Vuittons. J’invente une ville de famille au père stressé qui tire par la main sa fille pleurant de la gifle sonnante administrée par sa maman au bord de la crise de nerf – vive les vacances ! Un beau jeune homme très chic en Loden noir semble intrigué par ma caméra, puis qui va lire les informations à la porte d’embarquement du vol pour Bucarest : 1h30 de retard… il se rassied contrarié. On annonce l’embarquement pour Rome – envie d’une bonne pizza ! Je vais commander en allemand un café que la garçon, Sri-lankais je pense, me sert dans un petit gobelet en carton : Four francs fity – pour le prix on eut pu imaginer une tasse. Thanks.
Annonce : Le vol Swiss pour Genève…
Annonce : Le vol Swiss pour Genève…
14h15 : Enfin assis à côté du
hublot avec mon appareil de photo sur les genoux, j’évalue les nuques qui dépassent des appuie-têtes. Les nuages s’entre-ouvrent.
C’est beau et serein la Suisse sous la neige : clic, clic.
A peine a-t-on fini de monter qu’on nous annonce la descente : Trouée de soleil sur la pointe d'Yvoire puis sur le jet d’eau.
A peine a-t-on fini de monter qu’on nous annonce la descente : Trouée de soleil sur la pointe d'Yvoire puis sur le jet d’eau.
15h10 : Ça y est on est à
Genève. Chic, cette fois je retrouve ma valise, entière. Je vais prendre le train.
Partis il y a 28 heures je suis fatigué mais content d’arriver. Dans deux semaines ici ce sera l’hiver mais je serai déjà rentré dans l'été brésilien..
Partis il y a 28 heures je suis fatigué mais content d’arriver. Dans deux semaines ici ce sera l’hiver mais je serai déjà rentré dans l'été brésilien..
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Aéroport Genève Cointrin |
Les voyages forment la jeunesse.